La restauration est pour moi la colonne vertébrale du métier d’horloger. De même qu’un individu ou une société s’explique et se comprend par son passé, l’horlogerie ne peut se déchiffrer qu’au regard de son histoire et des chefs d’œuvre que le Temps lui-même a conservés des maîtres du passé.

Chaque garde-temps ancien est le témoin d’une époque où la technique, les moyens de fabrication, le marché, la science et la mentalité étaient différents de ce qu’ils sont aujourd’hui. Dans le cadre d’une restauration, l’horloger se doit de replonger dans cette époque pour reproduire le plus fidèlement possible les pièces endommagées ou absentes. Il ne s’agit pas seulement de faire fonctionner l’objet (ce qui est le but de la réparation), mais de lui redonner vie en tenant compte de ce qu’il a été à l’origine, de sa “personnalité”.

Plusieurs approches différentes sont aujourd’hui pratiquées dans le cadre d’une restauration. Si celle choisie est le fruit d’une réflexion avec le client, mon approche consiste à refaire fonctionner le garde-temps sans toutefois le remettre à neuf pour lui rendre sa version originale. Souvent, de nombreux horlogers ont travaillé sur ces objets et y ont laissé des traces (l’horloger est souvent plus dommageable que le temps lui-même…). Je considère que ces traces, si elles n’injurient pas le mouvement ni ne nuisent à son bon fonctionnement, peuvent être laissées comme faisant désormais partie de la vie de la pièce, lui conférant même quelque chose d’unique et de personnel, comme les épreuves de la vie laissent souvent des traces sur les visages et les rendent à mon sens plus beaux. Si une philosophie consiste à refuser la vieillesse et les outrages du temps, la mienne consiste à l’accepter et se laisser modeler par le temps.

La restauration m’ouvre à des états d’esprit, m’amène à rechercher des compétences aujourd’hui délaissées, et par là me conduit à une certaine humilité face à ce que nous ne savons plus faire aujourd’hui. En effet, si la durée d’apprentissage du métier n’a presque pas évolué depuis le XVIème siècle (six années), les compétences acquises sont tout autres aujourd’hui, plus axées sur les besoins actuels du marché de l’horlogerie (assemblage de mouvements fabriqués par commandes numériques, réparation d’horlogerie industrielle…). Il faut donc réapprendre par soi-même à tailler des dents à la lime, à écrouir du laiton, à confectionner des fusées, etc.

Chaque objet étant passionnant et source d’apprentissage par ce qu’il a d’unique, je restaure des pièces de toutes les époques et dans tous les états, qu’il s’agisse de chronomètres de marine, de montres oignons, de montres à sonnerie ou à automates, de cartels ou d’instruments scientifiques anciens.